Tentative avortée d’action collective quant à Google Photos au Québec, faute de cause défendable

La Cour supérieure refusait récemment d’autoriser une action collective, dans Homsy c. Google (2022 QCCS 722). Le tribunal y retourne essentiellement le demandeur faire ses devoirs, en nous fournissant un rappel utile du fait que, bien que nos règles de procédures visent à faciliter l’introduction de tels recours devant nos tribunaux, il ne faut pas assumer que tout ce qu’on peut imaginer amener devant nos tribunaux passe le test et sera nécessairement traité par le système judiciaire.

La décision en question découle d’allégations d’un Québécois à l’effet que la société Google utiliserait l’information biométrique des usagers du service Google Photos sans consentement adéquat de la part des usagers. Selon M. Homsy, des pratiques douteuses d’extraction, de collecte, de conservation et d’utilisation de ses données biométriques faciales seraient en cause, tout comme un préavis insuffisant aux usagers et des consentements inadéquats.

Malheureusement pour le demandeur, bien que les problèmes rapportés existent peut-être, le hic ici c’est que cette tentative de recours collectif contre Google ne repose sur aucune preuve adéquate. Devant ce constat, le tribunal nous sert un rappel utile en refusant d’autoriser ce recours: une action collective c’est bien, pour peu qu’on puisse démontrer avoir une «cause défendable». À défaut, même le régime spécial qui vise à favoriser l’introduction de ce genre de recours ne devrait pas laisser passer n’importe quelle réclamation devant nos tribunaux. Peu de preuve c’est une chose -pas de preuve une toute autre, de dire essentiellement le tribunal.

À première vue, cette décision à de quoi surprendre quand on lit l’article 575 du Code de procédure civile, lequel dicte que le tribunal chargé de valider une action collective (quand elle est déposée au début), doit se limiter à vérifier des choses de base, dont que «les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées». En lisant cela, on pourrait penser qu’on a rien à prouver à ce stade-ci, seulement à faire de pures allégations. Eh bien non de dire la Cour supérieure, détrompez-vous!

Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal nous explique que, compte tenu de la jurisprudence, il faut lire les prérequis de l’art. 575 avec ce qui suit en tête :

Toutes les allégations de fait ne peuvent être tenues pour avérées. Les hypothèses, opinions, spéculations et inférences non supportées ne sont pas tenues pour avérées. De plus, les allégations factuelles générales qui visent le comportement d’une partie défenderesse ne peuvent être tenues pour avérées sans la présentation d’un élément de preuve. En effet, comme l’a établi la Cour suprême du Canada, lorsque des allégations de la demande sont générales et imprécises, elles sont insuffisantes pour satisfaire à la condition préliminaire d’établir une cause défendable; elles doivent être accompagnées d’une certaine preuve afin d’établir une cause défendable.

Puisqu’ici les procédures ne présentaient à peu près rien d’autre que des hypothèses, des opinions, des spéculations et des inférences, on ne rencontrait pas le seuil nous permettant d’autoriser le recours, lequel doit donc être purement et simplement rejeté.

Déboires quant au Boeing 737 MAX: une bonne leçon quant à l’importance de munir les administrateurs d’assurance responsabilité

Comme je le rappelais récemment, après une bonne formation en matière de rédaction de procès-verbaux, la détention d’un siège sur un conseil d’administration n’est pas qu’un fleuron à placer sur ton CV, c’est aussi une source potentielle de responsabilité. C’est ce qu’on peut-être réalisés récemment les administrateurs de la société Boeing, suite aux déboires du modèle d’avions 737 MAX.

Comme on s’en souviendra, la société Boeing s’est plantée (pour ainsi dire), en concevant et en mettant en marché une nouvelle mouture de son 737, au cours des dernières années. En gros, tous s’entendent maintenant pour dire, après enquête, que Boeing a (disons) mal géré des problèmes inhérents à son nouveau modèle qu’elle était si motivée à commercialiser le plus rapidement possible, au prix de plusieurs accidents attribuables au «système anti-décrochage» de ce modèle d’avion.

On pouvait suivre la suite de cette histoire ce weekend, dans les journaux tels que La Presse, révélant qu’on vient de parvenir à une entente de règlement, suite à une réclamation en cours contre les administrateurs de cette société. Ce que les médias révèlent quant à ce recours, c’est que les actionnaires reprochaient devant les tribunaux aux membre du conseil d’administration (le «C.A.») d’avoir été négligent dans leur rôle, en ne discutant jamais de sécurité aérienne, incluant quant au nouveau modèle d’avion alors à être conçu, en ne créant pas même un seul comité avec le mandat de se pencher sur la sécurité des avions de Boeing. Pour eux, le défaut de s’assurer que la société incluait dans son nouveau modèle des instruments de contrôle adéquats devant assurer la sécurité de chaque appareil constituait une faute.  Qui dit faute, dit évidemment responsabilité potentielle voyez-vous?

À défaut de s’être ainsi acquittés de leurs devoirs de diligence (afin d’adéquatement protéger la société et ses actionnaires), on arguait donc que ces administrateurs devaient casquer. Le montant de ce règlement? 237 millions de dollars américains -oui vous lisez bien. On ne parle pas d’une poursuite contre Boeing, on parle bien d’un recours visant à obtenir compensation de la part d’administrateurs ayant siégé sur le C.A. de Boeing, sans plus.

Il s’agit là d’un bon cas de figure à citer à l’avenir quand vient le temps d’expliquer la responsabilité potentielle qu’accompagne toute nomination à un C.A. d’entreprise. Je crois que ce cas nous fournira aussi une bonne illustration de l’importance de se munir d’une police d’assurance adéquate de type «E&O», visant à couvrir le montant des réclamations éventuelles liées aux gestes des administrateurs.

D’ailleurs, la couverture de telles polices d’assurance sera évidemment à évaluer avec soin, dans chaque cas, afin de s’assurer notamment que le montant s’avère adapté au risque de poursuites potentielles liées au rôle d’un administrateur de cette société spécifique, etc. Agir comme administrateur d’une PME aux activité locales dans le domaine de la restauration ne représente évidemment pas le même degré de risque que de siéger sur le C.A. d’une multinationale en aéronautique, par exemple.

La Cour fédérale créé un nouveau concept de violation de droit d’auteur par «incitation»

La Cour fédérale rendait récemment une décision (disons) innovatrice en matière de droit d’auteur. La décision en question, Bell Canada v. L3D Distributing Inc. (2021 FC 832), découle de recours entrepris par des requérants contre trois entreprises et un individu produisant et vendant au Canada un type d’appareil surnommé « set-top box » en anglais (une «STB»). En gros, une STB c’est un boîtier (un décodeur) agissant comme adaptateur et permettant de recevoir des données (i.e. du contenu) d’Internet, puis de l’afficher sur un téléviseur. Ce type de produit est mis en marché au Canada par diverses sources, dont un groupe de sociétés et d’individus comprenant notamment la société L3D Distributing inc. (les «Défendeurs»).

Pour faire une petite historique rapide à ce sujet, en 2016, un groupe de sociétés de télécommunications et de médias canadiennes, incluant notamment Bell et Vidéotron (les «Requérants»), se regroupent afin de tenter de contrer la vente libre, au Canada, de STB. Ces produits sont une menaces pour eux parce que rendant le pirate trop trop facile, même pour monsieur madame tout le monde sans expertise particulière. Après avoir acheté une STB, on peut y installer un ajout logiciel (gratuit) qui nous ouvre alors les portes de répertoires complets d’émissions et des films piratés (du «Contenu piraté»).

Voulant arrêter l’hémorragie, Bell et compagnie poursuivent ces défendeurs, en espérant faire disparaitre leurs STB du marché, source non-négligeable de piratages de contenu par le public canadien, semble-t-il.

Précisons à ce sujet, qu’il faut bien dire que ces Défendeurs fournissent non-seulement l’outil requis pour visionner ce type de contenu illicite (leurs STB), mais ils le(s) mettent en marché et les annoncent, en mettant l’emphase sur la façon dont ces bidules peuvent aisément être modifiés après l’achat, par des ajouts logiciels (disponibles gratuitement), afin d’obtenir l’accès à du Contenu piraté. En sommes, le but (essentiellement avoué) des STB est de permettre aux consommateurs de contourner le système établi de distribution légale de contenu, en leur permettant d’aisément obtenir du Contenu piraté gratuitement. Bref, c’est le genre de chose qui semble illégal, mais qui en droit n’est pas clairement illégal – comme tel. On peut voir pourquoi les activités de ces entreprises peu scrupuleuses avaient de quoi turlupiner des sociétés comme Bell, Vidéotron et TVA.

Suite aux procédures intentées en Cour fédérale contre ces Défendeurs, après plusieurs années, les requérants parviennent éventuellement à obtenir une décision ex parte, par défaut, concluant à de la contrefaçon. C’est la décision de la Cour fédérale publiée récemment et dont je veux parler aujourd’hui.

Ce que cette décision récente a d’intéressant pour nous tient, selon moi, surtout à deux choses :

La première, c’est que le juge accepte de statuer que les Défendeurs ont, par leurs activités, fait l’équivalent d’offrir du Contenu piraté par Internet -essentiellement. Selon lui (à la suggestion des Requérants, évidemment), on peut conclure que ces mécréants ont piraté du contenu, par leurs agissements en rapport avec leurs STB. Certes, ils n’ont pas copié, ni téléchargé, ni quel qu’autre acte directe réel, mais en droit on peut, grosso modo disons, conclure que c’est pareil. C’est tout comme de la contrefaçon et concluons donc à de la contrefaçon carrément, pourquoi pas? Hmmm, pas sûr que je sois d’accord mais bon, passons.

La seconde chose intéressante ici, et c’est ce qu’il faut souligner, c’est que le jugement accepte aussi de s’aventurer en terrain inconnu en important en droit d’auteur canadien le concept bien connu en droit des brevets d’invention, à l’effet qu’on peut considérer un défendeur comme ayant violé des droits simplement parce qu’il a «incité» un tiers à les violer. ÇA, c’est une réelle nouveauté en droit d’auteur canadien.

Pour le tribunal, non-seulement devait-on considérer que l’offre et la vente des STB par ces mécréants s’avérait un problème en droit, mais le simple fait d’influer sur les acheteurs afin de les encourager à installer et utiliser des ajouts logiciels (pour obtenir du Contenu piraté) s’avérait aussi juridiquement repréhensible. Le tribunal créé donc tout de go l’« incitation » comme concept de faute en matière de droit d’auteur. En mettant leurs STB en marché et en expliquant trop clairement aux consommateurs à quel point il était facile d’acheter leur bidule puis de télécharger et installer des « add-ons » donnant accès à du contenu piraté, les Défendeurs ont donc traversé une ligne invisible. Surprise!

Fait intéressant, à ce sujet, le tribunal ne se formalise pas trop du fait que rien dans la Loi sur le droit d’auteur ne prévoit que la simple incitation est un problème. Pour le juge, ici, le fait que la common law, prévoit l’incitation comme une faute possible nous permet de l’importer en droit d’auteur. Étrange, compte tenu que la jurisprudence dit depuis longtemps que le droit d’auteur et le droit commun sont des créatures différentes -mais bon. À tout événement, semblerait que l’incitation à pirater du contenu soit désormais prohibée au Canada. Qu’on se le tienne pour dit. Remarquez bien, puisqu’en présence de procédures menant à un jugement par défaut, le juge ici n’avait pas le bénéfice d’un défendeur qui se défend en soumettant des arguments contraires, etc. Ça vaut donc bien ce que ça vaut. Cela dit, la décision existe dorénavant et, à moins d’aller en appel, pourrait ensuite être suivie et/ou imitée dans d’autres décisions ultérieures.