Les agriculteurs américains convainquent John Deere de leur permettre de réparer leurs tracteurs

On annonçait récemment que les agriculteurs américains sont finalement parvenus à convaincre le fabricant de tracteurs JOHN DEERE de leur permettre d’entretenir et de réparer leurs appareils de ferme de cette marque, et ce, sans nécessairement passer par le réseau du manufacturier.

Dans les faits, c’est l’American Farm Bureau Federation (un organisme gouvernemental s’occupant d’agriculture aux États-Unis) qui vient de s’entendre avec le fabricant, dans une lettre d’entente (un Memorandum of understanding -our MoU). Ce MoU vise en principe à faciliter l’entretien et la réparation de l’équipement agricole de cette marque par les fermiers eux-mêmes. Selon l’entente, les agriculteurs pourront notamment désormais faire appel à de techniciens indépendants, plutôt que nécessairement ceux qui sont autorisés par la société John Deere. Pour le faciliter, le fabricant devra désormais donner accès à de l’information, des ressources et des outils requis pour quiconque veut faire de l’entretien ou réparer un tracteur de marque JOHN DEERE, par exemple. Cela peut comprendre donner accès à la documentation, des logiciels, des outils spécialisés sans lesquels le travail sur un tracteur moderne s’avère impossible ou difficile.

Comme c’est souvent le cas avec le matériel moderne, en effet, sans accès à de la documentation, des spécifications détaillées et des outils spécialisés (dont logiciels), on ne peut souvent pas faire grand chose pour réparer ou même mettre à jour du matériel, ce qui s’étend désormais à de l’équipement agricole, désormais aussi technologique que n’importe quel type de véhicule.

Suite à la conclusion de ce MoU, le fabricant devrait donc à l’avenir rendre accessible les éléments requis pour que les fermiers et exploitants agricoles puissent diagnostiquer, entretenir et réparer leur équipement de cette marque, que ce soit eux-mêmes ou par l’entremise de technicien indépendants. Jusqu’à maintenant, on insistait pour que tout entretien ou réparation se fasse par l’entremise du réseau de techniciens autorisés John Deere qui, eux seuls, disposaient des éléments et outils requis.

Fait intéressant, le MoU comprend une mention expresse qu’il n’obligera en rien la société John Deere à divulguer quelques renseignements confidentiels ou secrets industriels (secrets commerciaux). Cette limite a le potentiel de limiter passablement ce que le fabricant devra rendre disponible dans les faits, puisqu’on peut prétendre sans trop de difficulté qu’à peu près n’importe quels éléments techniques s’avèrent secrets ou confidentiels.

Il sera intéressant de voir ce que cela donnera en pratique sur le terrain et dans quelle mesure ce mouvement s’étendra aux autres domaines et industries, aux États-Unis et ailleurs comme au Canada. En attendant, c’est tout de même un beau coup pour le mouvement du droit à la réparation.

Comme la technologie et notre économie, le Canada comprend qu’il doit continuer à faire évoluer son droit de la concurrence

Faisant suite à divers amendements à la Loi sur la concurrence annoncés plus tôt cette année, le ministre canadien à l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie annonçait cette semaine que le Canada voulait faire plus pour améliorer et renforcer cette loi, dont pour assurer qu’elle demeure adaptée à l’économie moderne. On propose donc consulter les Canadiens afin de faire un réexamen en profondeur de la loi, en se basant sur un document publié récemment quant à ce qu’on envisage.

En un mot, notre loi semblant devenir de plus en plus désuète et de moins en moins applicable dans la réalité actuelle, il est temps de revoir tout ça et de nous demander comment on pourrait mieux gérer les choses. Par exemple, on pourrait vouloir revoir ce qu’on considère de la dominance dans un marché, quant de gros joueurs s’alignent dans les faits, même sans nécessairement faire une entente entre eux.

Dans un bon exemple du genre de raisons qui justifient peut-être un tel réexamen de nos règles en matière de concurrence, on rapporte cette semaine que la justice américaine est à examiner un problème de ce genre, dans le marché des bailleurs de locaux commerciaux. Au centre de cette affaire, comment certains bailleurs américains déterminent ce qu’ils peuvent exiger pour leurs locaux. Vous croyez que c’est une affaire d’expérience et d’intuition? Détrompez-vous, dans le monde actuel, c’est passablement plus objectif que cela.

L’affaire en question implique l’usage par de gros bailleurs américains («landlords», en anglais) d’un logiciel nommé Yieldstar de la société RealPage, lequel est connecté à une base de données d’informations recueillies chez les utilisateurs quant aux taux de loyers exigés de leurs clients dans les divers marchés où ils louent des locaux à des locataires commerciaux. Le système anonymise alors les données mais donne ensuite à tous les abonnés un aperçu de ce que le marché semble supporter pour les locaux dans tel ou tel secteur de la ville, par exemple. Les bailleurs peuvent alors se servir de cette précieuse et stratégique information pour maximiser le prix qu’ils exigent pour louer leurs locaux, alors que le logiciel leur suggère le taux (i.e. le prix) qu’ils peuvent sans doute aller chercher, pour un local comparable à tel endroit. La plateforme de RealPage permet d’ailleurs aussi l’accès à des groupes de discussion, en ligne, dans lesquels des bailleurs partagent d’autres infos et se coordonnent (jusqu’à un certain point), ce qui juridiquement dépasse peut-être la ligne de démarcation entre l’acceptable et l’illégal.

La question qui se profile à ce sujet, c’est donc de savoir dans quelle mesure une telle collaboration (directe et indirecte) entre les bailleurs (en mettant en commun de l’information quant à leurs prix et en s’ajustant respectivement sur la base de cette info) s’avère trop près d’un cartel ou de comportement de la nature de collusion. Dans les faits, il est possible qu’on soit ainsi à manipuler une partie du marché par les gros joueurs qui collaborent de trop près. La question se pose à tout le moins, selon le ministère américain de la Justice, bien qu’on puisse arguer (à l’inverse) que ce que permet Yieldstar s’apparente simplement aux associations de bailleurs qui permettent aux bailleurs d’interagir et de collaborer, sans que ce soit nécessairement un problème, juridiquement.

À tout événement, c’est un bon exemple du fait que nos règles en matière de concurrence méritent peut-être effectivement d’être mises à jour. La société et la techno évoluent sans cesse, le droit sur la concurrence le devrait aussi, pas de doute.

La globalisation du droit des marques américain?

La Cour suprême des États-Unis aurait accepté d’entendre une affaire soulevant la possibilité que le droit des marques américain puisse, en un sens, s’appliquer au-delà de leurs frontières. Oui, vous lisez bien.

Comme on s’en souviendra, le droit des marques (comme la plupart des lois) s’applique DANS la juridiction où la loi visée a été adoptée. Un pays est évidemment libre de dicter ses règles mais le droit deviendrait rapidement un cafouilli si tous les pays se permettaient de prétendre pouvoir dicter ce qui se fait au-delà de leurs frontières, comme on le comprend aisément.

À tout événement, une décision américaine récente (Abitron Austria v. Hetronic International) en matière de contrefaçon de marque de commerce prend une approche disons novatrice, à ce sujet, en concluant qu’un tribunal américain pouvait conclure à la responsabilité d’un défendeur étranger, en rapport à la vente ailleurs dans le monde de produits «contrefaits», pour ainsi dire. Selon un tribunal du Texas, en effet, si une entreprise Américaine peut prétendre avoir perdu des ventes à cause de ventes par autrui à l’étanger, pourquoi pas de pas pouvoir poursuivre aux États-Unis afin d’obtenir des dommages-intérêts?

La société ABI Holding GmbH a ainsi récemment été condamnée, par un tribunal américain, à payer 90 millions de dollars à un requérant américain à cause de produits vendus à l’étranger et « contrefaisant » des marques de la société américaine requérante. Dans l’affaire en question, le tribunal américain a en effet basé son calcul des dommages pertinents sur les ventes à l’étranger qu’aurait fait la défendresse, contrairement au schème normal d’imposer des dommages seulement par rapport à ce qui s’est ou ne s’est pas passé DANS la juridiction visée. Ici, le tribunal a ainsi fixé le montant de la condamnation en prenant en compte les effets des ventes qu’aurait fait ABI ailleurs qu’aux États-Unis. Pour y parvenir, la société Methode’s Hetronic International est parvenue à arguer que l’effet des ventes effectuées par ABI à l’étranger a eu pour résultat (indirect) de créer de la confusion aux États-Unis et de lui faire perdre des ventes aux États-Unis (par des ventes pourtant survenues à l’étranger), justifiant donc de condamner la défendresse aux États-Unis à des dommages substantiels.

Il s’agit là d’un départ marqué de notre façon habituelle de concevoir les choses en droit des marques. Cela pourrait notamment changer la donne pour des détaillants internationaux (tels que les Amazon de ce monde) et dont le modèle d’affaire repose, en partie, sur le fait que l’effet des droit de marque se fait et s’évaluera normalement PAR PAYS, plutôt qu’à l’échelle mondiale. D’ailleurs, on parle là d’un changement qui s’avère aussi susceptible d’inquiéter les entreprises exploitée ailleurs qu’au États-Unis, les exposant à des poursuites aux États-Unis, même quand leurs activités ne s’y étendent aucunement, sans même viser ce territoire.

La Cour suprême devra donc évaluer (l’an prochain) dans quelle mesure le droit des marques américain veut effectivement s’engager dans cette direction, en permettant dorénavant aux sociétés américaines de poursuivre des entreprises étrangères en rapport à de la prétendu «contrefaçon» de marques de commmerce survenu entièrement à l’étranger, de façon à leur permettre d’obtenir des dommages-intérêts basés sur les ventes que les défendeurs auraient faites à l’étanger. Si on confirme cette nouvelle approche, àt itre d’exemple, une société canadienne pourrait éventuellement en principe se faire poursuivre aux États-Unis, pour avoir « contrefait » une marque américaine (i.e. dans un territoire où la marque du demandeur n’est pas reconnue) pour des gestes et des ventes pourtant survenus entièrement À L’ÉTRANGER, d’une façon qu’un demandeur arguerait avoir mené à des pertes de vente aux États-Unis. Et vous, votre marque violerait-elle les droits d’une entreprise américaine si vous l’exploitiez au sud de la frontière? Si oui, vous pourriez éventuellement être poursuivit aux États-Unis et, même, y être condamné pour contrefaçon de marque, même sans jamais y avoir eu d’activités ou y faire de vente. Pensez-y.