La globalisation du droit des marques américain?

La Cour suprême des États-Unis aurait accepté d’entendre une affaire soulevant la possibilité que le droit des marques américain puisse, en un sens, s’appliquer au-delà de leurs frontières. Oui, vous lisez bien.

Comme on s’en souviendra, le droit des marques (comme la plupart des lois) s’applique DANS la juridiction où la loi visée a été adoptée. Un pays est évidemment libre de dicter ses règles mais le droit deviendrait rapidement un cafouilli si tous les pays se permettaient de prétendre pouvoir dicter ce qui se fait au-delà de leurs frontières, comme on le comprend aisément.

À tout événement, une décision américaine récente (Abitron Austria v. Hetronic International) en matière de contrefaçon de marque de commerce prend une approche disons novatrice, à ce sujet, en concluant qu’un tribunal américain pouvait conclure à la responsabilité d’un défendeur étranger, en rapport à la vente ailleurs dans le monde de produits «contrefaits», pour ainsi dire. Selon un tribunal du Texas, en effet, si une entreprise Américaine peut prétendre avoir perdu des ventes à cause de ventes par autrui à l’étanger, pourquoi pas de pas pouvoir poursuivre aux États-Unis afin d’obtenir des dommages-intérêts?

La société ABI Holding GmbH a ainsi récemment été condamnée, par un tribunal américain, à payer 90 millions de dollars à un requérant américain à cause de produits vendus à l’étranger et « contrefaisant » des marques de la société américaine requérante. Dans l’affaire en question, le tribunal américain a en effet basé son calcul des dommages pertinents sur les ventes à l’étranger qu’aurait fait la défendresse, contrairement au schème normal d’imposer des dommages seulement par rapport à ce qui s’est ou ne s’est pas passé DANS la juridiction visée. Ici, le tribunal a ainsi fixé le montant de la condamnation en prenant en compte les effets des ventes qu’aurait fait ABI ailleurs qu’aux États-Unis. Pour y parvenir, la société Methode’s Hetronic International est parvenue à arguer que l’effet des ventes effectuées par ABI à l’étranger a eu pour résultat (indirect) de créer de la confusion aux États-Unis et de lui faire perdre des ventes aux États-Unis (par des ventes pourtant survenues à l’étranger), justifiant donc de condamner la défendresse aux États-Unis à des dommages substantiels.

Il s’agit là d’un départ marqué de notre façon habituelle de concevoir les choses en droit des marques. Cela pourrait notamment changer la donne pour des détaillants internationaux (tels que les Amazon de ce monde) et dont le modèle d’affaire repose, en partie, sur le fait que l’effet des droit de marque se fait et s’évaluera normalement PAR PAYS, plutôt qu’à l’échelle mondiale. D’ailleurs, on parle là d’un changement qui s’avère aussi susceptible d’inquiéter les entreprises exploitée ailleurs qu’au États-Unis, les exposant à des poursuites aux États-Unis, même quand leurs activités ne s’y étendent aucunement, sans même viser ce territoire.

La Cour suprême devra donc évaluer (l’an prochain) dans quelle mesure le droit des marques américain veut effectivement s’engager dans cette direction, en permettant dorénavant aux sociétés américaines de poursuivre des entreprises étrangères en rapport à de la prétendu «contrefaçon» de marques de commmerce survenu entièrement à l’étranger, de façon à leur permettre d’obtenir des dommages-intérêts basés sur les ventes que les défendeurs auraient faites à l’étanger. Si on confirme cette nouvelle approche, àt itre d’exemple, une société canadienne pourrait éventuellement en principe se faire poursuivre aux États-Unis, pour avoir « contrefait » une marque américaine (i.e. dans un territoire où la marque du demandeur n’est pas reconnue) pour des gestes et des ventes pourtant survenus entièrement À L’ÉTRANGER, d’une façon qu’un demandeur arguerait avoir mené à des pertes de vente aux États-Unis. Et vous, votre marque violerait-elle les droits d’une entreprise américaine si vous l’exploitiez au sud de la frontière? Si oui, vous pourriez éventuellement être poursuivit aux États-Unis et, même, y être condamné pour contrefaçon de marque, même sans jamais y avoir eu d’activités ou y faire de vente. Pensez-y.

La décision Pyrrha quant à des copies de bijoux confirmée en appel

La Cour d’appel fédérale (la «CAF») statuait récemment quant à l’appel d’une décision de l’an dernier par la Cour fédérale relativement à des bijoux présumément copiés par un concurrent. La Décision en question est celle de Pyrrha Design Inc. c. Plum and Posey Inc. (2022 CAF 7).

Comme on s’en souviendra, la décision initiale découlait d’une poursuite en contrefaçon de droit d’auteur d’un artisan de bijoux contre un autre, relativement à une gamme de bijoux basés sur des sceaux de cire traditionnels. Si deux artisans fabriquent des produits similaires basés sur le mêmes sceaux antiques qu’on adapte légèrement pour en faire le même genre de bijoux, en droit, sommes-nous nécessairement en présence de contrefaçon de droit d’auteur? C’est la question qui se posait à l’origine.

En première instance, le tribunal avait conclu que la ressemblance des bijoux des deux parties impliquées avait essentiellement pour source l’idée de bijoux conçus à partir de sceaux de cire traditionnels, en plus de l’apparence exacte des sceaux spécifiques (dont le dessin était depuis longtemps dans le domaine public) qui avaient été sélectionnés, qu’on avait légèrement modifiés afin de les transformer en bijoux. Compte tenu de ce fait, la décision de première instance statuait que, malgré les ressemblances de concept (disons), on était pas en présence d’une copie du point vue du droit d’auteur et, donc, que la poursuite en contrefaçon devait être rejetée.

Après analyse du dossier, la CAF statuait récemment que la décision initiale dans ce dossier tient bien la route. Non, il n’y avait pas de contrefaçon à simplement produire des bijoux de ce type, et ce, même si on avait réutilisé carrément les mêmes sceaux d’origine. Si copie il y avait, cette copie n’était pas d’un type qui s’avère problématique en droit.

Dans son analyse, le tribunal d’appel confirme que, quand on doit déterminer s’il y a contrefaçon entre deux œuvres similaires, il s’avère bien approprié de procéder avec une analyse en deux étapes, afin de déterminer s’il on était en présence d’une « similitude substantielle » suffisante et justifiant un tel recours. En l’occurrence, la CAF vient confirmer qu’il s’avère approprié de d’abord chercher à identifier les ressemblances entre les oeuvres à comparer, puis seulement de déterminer si ces ressemblances impliquent un emprunt à une portion substantielle des efforts de jugement et d’exercice d’habileté dont avait preuve l’auteur initial. Si c’est le cas, alors on peut statuer que la ressemblance entre les œuvres en présence s’avérait excessive, à défaut non.

C’est dans ce contexte que la CAF confirme ici qu’il s’avère approprié d’utiliser une «approche holistique» (en regardant les œuvres dans leur ensemble), par opposition à chercher à comparer des portions/passages spécifiques des deux oeuvres en présence.

Fait important, ici, l’intervention de la requérante (l’artisan) sur les sceaux, afin de les transformer en bijoux, s’était limitée à en modifier la bordure et à y appliquer certains effets d’oxydation et de polissage. On était loin d’un artisan ayant conçu des sceaux originaux pour créer ses bijoux. Selon la CFA, le degré de protection à donner à de telles oeuvres doit s’avérer limité, compte tenu du travail créatif (relativement) limité auquel s’était adonné l’artisan ayant transformé ces sceaux en bijoux. Résultat: il était approprié de conclure en première instance qu’une copie des bijoux en question s’avérait tout à fait acceptable, dans la mesure où on a pas reproduit le travail spécifique de l’artisan original.

Au passage, ce jugement d’appel vient aussi reconfirmer, sans grande surprise, que le droit d’auteur ne vise pas à protéger les idées, ni les méthodes ou les concepts, tels que le concept de bijoux coulés à partir de moules de sceaux de cire. Si tout ce que vous prétendez posséder est un monopole sur une ce qui revient à une méthode, cherchez ailleurs qu’en droit d’auteur la façon de protéger votre idée. Le droit des brevets pourraient s’avérer une possibilité mais si tout ce que vous avez c’est un recours en droit d’auteur, oubliez ça.

La Cour fédérale créé un nouveau concept de violation de droit d’auteur par «incitation»

La Cour fédérale rendait récemment une décision (disons) innovatrice en matière de droit d’auteur. La décision en question, Bell Canada v. L3D Distributing Inc. (2021 FC 832), découle de recours entrepris par des requérants contre trois entreprises et un individu produisant et vendant au Canada un type d’appareil surnommé « set-top box » en anglais (une «STB»). En gros, une STB c’est un boîtier (un décodeur) agissant comme adaptateur et permettant de recevoir des données (i.e. du contenu) d’Internet, puis de l’afficher sur un téléviseur. Ce type de produit est mis en marché au Canada par diverses sources, dont un groupe de sociétés et d’individus comprenant notamment la société L3D Distributing inc. (les «Défendeurs»).

Pour faire une petite historique rapide à ce sujet, en 2016, un groupe de sociétés de télécommunications et de médias canadiennes, incluant notamment Bell et Vidéotron (les «Requérants»), se regroupent afin de tenter de contrer la vente libre, au Canada, de STB. Ces produits sont une menaces pour eux parce que rendant le pirate trop trop facile, même pour monsieur madame tout le monde sans expertise particulière. Après avoir acheté une STB, on peut y installer un ajout logiciel (gratuit) qui nous ouvre alors les portes de répertoires complets d’émissions et des films piratés (du «Contenu piraté»).

Voulant arrêter l’hémorragie, Bell et compagnie poursuivent ces défendeurs, en espérant faire disparaitre leurs STB du marché, source non-négligeable de piratages de contenu par le public canadien, semble-t-il.

Précisons à ce sujet, qu’il faut bien dire que ces Défendeurs fournissent non-seulement l’outil requis pour visionner ce type de contenu illicite (leurs STB), mais ils le(s) mettent en marché et les annoncent, en mettant l’emphase sur la façon dont ces bidules peuvent aisément être modifiés après l’achat, par des ajouts logiciels (disponibles gratuitement), afin d’obtenir l’accès à du Contenu piraté. En sommes, le but (essentiellement avoué) des STB est de permettre aux consommateurs de contourner le système établi de distribution légale de contenu, en leur permettant d’aisément obtenir du Contenu piraté gratuitement. Bref, c’est le genre de chose qui semble illégal, mais qui en droit n’est pas clairement illégal – comme tel. On peut voir pourquoi les activités de ces entreprises peu scrupuleuses avaient de quoi turlupiner des sociétés comme Bell, Vidéotron et TVA.

Suite aux procédures intentées en Cour fédérale contre ces Défendeurs, après plusieurs années, les requérants parviennent éventuellement à obtenir une décision ex parte, par défaut, concluant à de la contrefaçon. C’est la décision de la Cour fédérale publiée récemment et dont je veux parler aujourd’hui.

Ce que cette décision récente a d’intéressant pour nous tient, selon moi, surtout à deux choses :

La première, c’est que le juge accepte de statuer que les Défendeurs ont, par leurs activités, fait l’équivalent d’offrir du Contenu piraté par Internet -essentiellement. Selon lui (à la suggestion des Requérants, évidemment), on peut conclure que ces mécréants ont piraté du contenu, par leurs agissements en rapport avec leurs STB. Certes, ils n’ont pas copié, ni téléchargé, ni quel qu’autre acte directe réel, mais en droit on peut, grosso modo disons, conclure que c’est pareil. C’est tout comme de la contrefaçon et concluons donc à de la contrefaçon carrément, pourquoi pas? Hmmm, pas sûr que je sois d’accord mais bon, passons.

La seconde chose intéressante ici, et c’est ce qu’il faut souligner, c’est que le jugement accepte aussi de s’aventurer en terrain inconnu en important en droit d’auteur canadien le concept bien connu en droit des brevets d’invention, à l’effet qu’on peut considérer un défendeur comme ayant violé des droits simplement parce qu’il a «incité» un tiers à les violer. ÇA, c’est une réelle nouveauté en droit d’auteur canadien.

Pour le tribunal, non-seulement devait-on considérer que l’offre et la vente des STB par ces mécréants s’avérait un problème en droit, mais le simple fait d’influer sur les acheteurs afin de les encourager à installer et utiliser des ajouts logiciels (pour obtenir du Contenu piraté) s’avérait aussi juridiquement repréhensible. Le tribunal créé donc tout de go l’« incitation » comme concept de faute en matière de droit d’auteur. En mettant leurs STB en marché et en expliquant trop clairement aux consommateurs à quel point il était facile d’acheter leur bidule puis de télécharger et installer des « add-ons » donnant accès à du contenu piraté, les Défendeurs ont donc traversé une ligne invisible. Surprise!

Fait intéressant, à ce sujet, le tribunal ne se formalise pas trop du fait que rien dans la Loi sur le droit d’auteur ne prévoit que la simple incitation est un problème. Pour le juge, ici, le fait que la common law, prévoit l’incitation comme une faute possible nous permet de l’importer en droit d’auteur. Étrange, compte tenu que la jurisprudence dit depuis longtemps que le droit d’auteur et le droit commun sont des créatures différentes -mais bon. À tout événement, semblerait que l’incitation à pirater du contenu soit désormais prohibée au Canada. Qu’on se le tienne pour dit. Remarquez bien, puisqu’en présence de procédures menant à un jugement par défaut, le juge ici n’avait pas le bénéfice d’un défendeur qui se défend en soumettant des arguments contraires, etc. Ça vaut donc bien ce que ça vaut. Cela dit, la décision existe dorénavant et, à moins d’aller en appel, pourrait ensuite être suivie et/ou imitée dans d’autres décisions ultérieures.