Déboires quant au Boeing 737 MAX: une bonne leçon quant à l’importance de munir les administrateurs d’assurance responsabilité

Comme je le rappelais récemment, après une bonne formation en matière de rédaction de procès-verbaux, la détention d’un siège sur un conseil d’administration n’est pas qu’un fleuron à placer sur ton CV, c’est aussi une source potentielle de responsabilité. C’est ce qu’on peut-être réalisés récemment les administrateurs de la société Boeing, suite aux déboires du modèle d’avions 737 MAX.

Comme on s’en souviendra, la société Boeing s’est plantée (pour ainsi dire), en concevant et en mettant en marché une nouvelle mouture de son 737, au cours des dernières années. En gros, tous s’entendent maintenant pour dire, après enquête, que Boeing a (disons) mal géré des problèmes inhérents à son nouveau modèle qu’elle était si motivée à commercialiser le plus rapidement possible, au prix de plusieurs accidents attribuables au «système anti-décrochage» de ce modèle d’avion.

On pouvait suivre la suite de cette histoire ce weekend, dans les journaux tels que La Presse, révélant qu’on vient de parvenir à une entente de règlement, suite à une réclamation en cours contre les administrateurs de cette société. Ce que les médias révèlent quant à ce recours, c’est que les actionnaires reprochaient devant les tribunaux aux membre du conseil d’administration (le «C.A.») d’avoir été négligent dans leur rôle, en ne discutant jamais de sécurité aérienne, incluant quant au nouveau modèle d’avion alors à être conçu, en ne créant pas même un seul comité avec le mandat de se pencher sur la sécurité des avions de Boeing. Pour eux, le défaut de s’assurer que la société incluait dans son nouveau modèle des instruments de contrôle adéquats devant assurer la sécurité de chaque appareil constituait une faute.  Qui dit faute, dit évidemment responsabilité potentielle voyez-vous?

À défaut de s’être ainsi acquittés de leurs devoirs de diligence (afin d’adéquatement protéger la société et ses actionnaires), on arguait donc que ces administrateurs devaient casquer. Le montant de ce règlement? 237 millions de dollars américains -oui vous lisez bien. On ne parle pas d’une poursuite contre Boeing, on parle bien d’un recours visant à obtenir compensation de la part d’administrateurs ayant siégé sur le C.A. de Boeing, sans plus.

Il s’agit là d’un bon cas de figure à citer à l’avenir quand vient le temps d’expliquer la responsabilité potentielle qu’accompagne toute nomination à un C.A. d’entreprise. Je crois que ce cas nous fournira aussi une bonne illustration de l’importance de se munir d’une police d’assurance adéquate de type «E&O», visant à couvrir le montant des réclamations éventuelles liées aux gestes des administrateurs.

D’ailleurs, la couverture de telles polices d’assurance sera évidemment à évaluer avec soin, dans chaque cas, afin de s’assurer notamment que le montant s’avère adapté au risque de poursuites potentielles liées au rôle d’un administrateur de cette société spécifique, etc. Agir comme administrateur d’une PME aux activité locales dans le domaine de la restauration ne représente évidemment pas le même degré de risque que de siéger sur le C.A. d’une multinationale en aéronautique, par exemple.

Le procès-verbal: un art plus qu’une science?

J’assistais vendredi à une présentation de Sylvia Groves, fondatrice de Governance Studio, une petite firme que se spécialise dans l’aide aux organisations par rapport à des question de gouvernance, dont la confection de bon procès-verbaux (les fameuses «minutes», en anglais). Une de ses spécialités : préparer de bon procès-verbaux (formels) de réunions de conseil d’administration, par exemple.

J’ai toujours été surpris de voir à quel point on demande à des avocats et des parajuristes de préparer de tels documents, sans jamais qu’ils soient vraiment formés pour le faire. On assume qu’ils sauront comment faire. Eh ben, grosse surprise, ce n’est pas le cas. Quand on donne cette tâche à quelqu’un qui a appris «sur le tas», sans trop réfléchir à la raison d’être de l’exercice, on se ramasse avec des documents corporatifs de qualité très variables et qui protègent l’organisation et ses administrateurs de façon toute aussi variable. Pensez-y.

Rafraichissant donc de voir une praticienne du droit qui distille son expérience liée à la préparation de bon procès-verbaux et qui nous résume si bien les pièges à éviter. En résumé, question de mieux m’en souvenir et de peut-être en faire bénéficier autrui, voici donc mon petit sommaire à ce sujet:

  • Comprenez et conservez à l’esprit la raison d’être des résolutions et des procès-verbaux (il y a un but à ces documents, ils n’existent pas simplement pour donner du travail aux secrétaires corporatifs et aux avocats, croyez-le ou non);
  • Rappelez-vous que le but des résolutions et procès-verbaux et de fournir une preuve prima facie de certaines décisions (incluant ce dont on a formellement décidé, qui en a décidé ainsi, comment, quand, etc.);
  • Rédigez toujours ce genre de résumé de réunion en gardant à l’esprit comment il pourrait être utilisé ensuite, incluant afin de démontrer que les décideurs (les administrateurs, par ex.) ont fait preuve (ou non) de diligence appropriée, ou encore qu’ils se sont acquitté  (ou non) de leur devoir de fiduciaire envers l’organisation et ceux qu’ils sont censés protégés, de par leur rôle;
  • Le procès-verbal doit évidemment énoncer qui a assisté et comment tout vote a été tenu et son résultat, incluant ceux qui se sont abstenus de voter, etc. C’est la base, mais il faut plus.
  • Le but ici n’est pas cependant d’identifier, d’énumérer ou de répertorier les interventions de chaque membre du conseil – en principe, sauf exception d’un membre faisant rapport spécifique quant à un dossier précis, le procès-verbal devrait éviter de nommer ce que chaque participant spécifique a dit ou fait pendant la réunion;
  • Un procès-verbal ne devrait pas non-plus être un enregistrement mot-à-mot, ni un relevé précis de chaque parole prononcée ou de chaque détail qu’on a abordé ou considéré par rapport à une décision donnée – on veut résumer la discussion en conservant une trace du processus, sans aller trop dans les détails, incluant qui a dit précisément quoi, etc. On veut en particulier généralement éviter de citer les individus -ce n’est pas le but d’un tel document;
  • Par contre, si on indique rien d’autre que la décision finale elle-même par rapport à un élément quant auquel on doit statuer (par ex., l’entreprise fera X), des tiers pourraient éventuellement utiliser le contenu du procès-verbal pour démontrer que ces administrateurs ne s’ont pas acquittés de façon adéquate de leur devoir de décider d’un façon diligente et raisonnable, en sommes en adoptant un peu n’importe quelle décision, sans vraiment y réfléchir ni dûment considérer et évaluer les éléments de faits disponibles (par ex. ce qui se trouvait dans les documents soumis pour examen avant la réunion)
  • Visez donc un paragraphe par point de décision, en évitant les simples énoncés d’une phrase quant au fait qu’au final on a pris telle ou telle décision, en oubliant de fournir aussi des explications quant au processus qui a mené à cette décision, à savoir ce qu’on a pris en compte et comment, etc.;
  • D’ailleurs, idéalement, le procès-verbal conservera aussi une trace des documents qui ont été circulés et que le groupe a pris en compte pour parvenir à sa décision;
  • Si vous êtes chargé de préparer le procès-verbal, conservez le contrôle sur le document, sans laisser d’autres s’en emparer et le modifier à leur guise, sans trace ni explications aux autres impliqués si des modification sont apportées après votre projet initial;
  • Éviter de vous placer dans une situation où vous avez préparé un procès-verbal qui ne reflète pas la réalité de ce qui est survenu durant une réunion. Par ex., on devrait évidemment éviter tout ajout au procès-verbal qui ne reflète pas un sujet qui a réellement été abordé ou une chose qui n’a pas réellement été dite pendant la rencontre (oui, même si on a simplement oublié d’aborder ce point par mégarde);
  • Soyez précis dans votre rédaction, incluant quant à la terminologie, en utilisant tous les mots et les noms de façon uniforme, d’un paragraphe à l’autre et d’un procès-verbal à un autre;
  • Éviter l’utilisation de jargons (juridique ou d’affaires) sans d’abord définir toutes ces expressions, en évitant aussi d’utiliser des mots, des noms ou des titres que vous n’avez pas vérifié (par ex. éviter de parler du «CFO» alors que la société en question possède un «Vice-Président Finances», mais pas de «CFO»);
  • Mettez l’emphase sur une forme facilitant la lecture, en uniformisant idéalement la forme pour l’ensemble des procès-verbaux d’une organisation donnée;

Comme point boni, la conférence recommandait aussi de s’assurer que tous et chacun des membres ayant assisté à une réunion quant à laquelle un procès-verbal a été dressé) détruise toutes ses notes, une fois le procès-verbal dressé et adopté, minimisant ainsi les chances que ces notes refassent plus tard surface dans un litige d’une façon qui contredise le procès-verbal.

Dans mon expérience avec les PME, les procès-verbaux s’avèrent relativement rares parce que tout le monde veut éviter les complications liées à la tenu d’assemblées et de réunions formelles Voilà pourquoi 95% des décisions corporatives de PME (au niveau du conseil d’administration ou des actionnaires) se prennent sans tenir de rencontre ni d’assemblée, mais bien en signant plutôt des «résolutions» écrites. Cela dit, il s’avère tout de même judicieux de savoir comment préparer de bon procès-verbaux quand cela s’avère nécessaire, sans parler du fait que plusieurs de conseils de Sylvia Groves s’avèrent aussi applicables en rédigeant des résolutions.

Governance Studio offre plusieurs livres sur le sujet, dont un petit fascicule gratuit intitulé 10 Secrets Directors Must Know About Minutes). (Non, je n’ai pas de lien avec eux, ni d’incitatif pour  ajouter un tel lien à ce billet.)