Les agriculteurs américains convainquent John Deere de leur permettre de réparer leurs tracteurs

On annonçait récemment que les agriculteurs américains sont finalement parvenus à convaincre le fabricant de tracteurs JOHN DEERE de leur permettre d’entretenir et de réparer leurs appareils de ferme de cette marque, et ce, sans nécessairement passer par le réseau du manufacturier.

Dans les faits, c’est l’American Farm Bureau Federation (un organisme gouvernemental s’occupant d’agriculture aux États-Unis) qui vient de s’entendre avec le fabricant, dans une lettre d’entente (un Memorandum of understanding -our MoU). Ce MoU vise en principe à faciliter l’entretien et la réparation de l’équipement agricole de cette marque par les fermiers eux-mêmes. Selon l’entente, les agriculteurs pourront notamment désormais faire appel à de techniciens indépendants, plutôt que nécessairement ceux qui sont autorisés par la société John Deere. Pour le faciliter, le fabricant devra désormais donner accès à de l’information, des ressources et des outils requis pour quiconque veut faire de l’entretien ou réparer un tracteur de marque JOHN DEERE, par exemple. Cela peut comprendre donner accès à la documentation, des logiciels, des outils spécialisés sans lesquels le travail sur un tracteur moderne s’avère impossible ou difficile.

Comme c’est souvent le cas avec le matériel moderne, en effet, sans accès à de la documentation, des spécifications détaillées et des outils spécialisés (dont logiciels), on ne peut souvent pas faire grand chose pour réparer ou même mettre à jour du matériel, ce qui s’étend désormais à de l’équipement agricole, désormais aussi technologique que n’importe quel type de véhicule.

Suite à la conclusion de ce MoU, le fabricant devrait donc à l’avenir rendre accessible les éléments requis pour que les fermiers et exploitants agricoles puissent diagnostiquer, entretenir et réparer leur équipement de cette marque, que ce soit eux-mêmes ou par l’entremise de technicien indépendants. Jusqu’à maintenant, on insistait pour que tout entretien ou réparation se fasse par l’entremise du réseau de techniciens autorisés John Deere qui, eux seuls, disposaient des éléments et outils requis.

Fait intéressant, le MoU comprend une mention expresse qu’il n’obligera en rien la société John Deere à divulguer quelques renseignements confidentiels ou secrets industriels (secrets commerciaux). Cette limite a le potentiel de limiter passablement ce que le fabricant devra rendre disponible dans les faits, puisqu’on peut prétendre sans trop de difficulté qu’à peu près n’importe quels éléments techniques s’avèrent secrets ou confidentiels.

Il sera intéressant de voir ce que cela donnera en pratique sur le terrain et dans quelle mesure ce mouvement s’étendra aux autres domaines et industries, aux États-Unis et ailleurs comme au Canada. En attendant, c’est tout de même un beau coup pour le mouvement du droit à la réparation.

L’OPIC nous annonce une hause de 25% des frais gouvernementaux pour 2024

Malgré un contexte économique qui s’annonce difficile, incluant une inflation galopante, l’OPIC (l’Office de la propriété intellectuelle du Canada) propose augmenter à nouveau les frais gouvernementaux applicables aux démarches en matière de P.I. , incluant quant à des marques de commerce, des brevets, des droits d’auteur et des dessins industriels. Oui, l’inflation frappera jusque dans votre portefeuille de propriété intellectuelle dès l’an prochain.

Comme l’explique le résumé préparé par le gouvernement:

«L’OPIC propose d’ajuster la plupart des droits de 25 % en 2024 afin de remédier à sa situation actuelle de déficit structurel et de ramener l’organisation à une position de stabilité financière. L’OPIC propose également d’élargir la définition de petite entité tout en maintenant les droits de brevet actuels pour les petites entités.»

L’OPIC justifie sa proposition par le fait que l’office s’avère chroniquement déficitaire, en plus de généralement fournir des niveaux de services qui s’avèrent, de dire plusieurs, d’une qualité souvent douteuse.

À titre d’illustration, selon le projet de règlement, la mouture 2024 des frais gouvernementaux en matière de marque de commerce verrait les droits associés à déposer une demande d’enregistrement (pour la première classe) passer de 330,00$ à 458,00$. Les frais pour ajouter chaque classe supplémentaire, eux, passeraient de 100,00$ à 139,00$. Le coût d’inscrire une cession au registre, lui, passerait de 100,00$ à 125,00$. Bref, vous voyez le topo.

Bien qu’il ne s’agisse pour l’instant que d’une proposition, tous s’entendent pour dire qu’il s’avère plus que probable que cela se concrétise au cours de la prochaine année. Les entreprises devraient donc s’attendre à payer 25% en frais gouvernementaux à compter de l’année prochaine au Canada.

Il s’agit là d’une bonne raison de ne pas tarder à protéger vos droits de P.I., incluant vos marques de commerce, si vous n’y avez pas encore vu.

L’intangible, toujours plus intangible… jusqu’à néant?

Sans vouloir trop trahir mon âge, je fais partie de la première génération à avoir joué sur une console de jeux. Alors, tu achetais un appareil puis une cartouche et, en principe, pouvait jouer pour toujours, pour le prix d’achat de ton jeu. Comme une boite de Monopoly, c’était simple, durable, permanent même.

Au début de ma pratique en droit des TI (avant 2000, c’est bien dire), on faisait beaucoup de licences de logiciels. C’était ce qui s’avérait pertinent, dont pour nombre de PME québécoises faisant dans le logiciel. Les entreprises vendaient alors des licences, peut-être par la vente de boites et/ou de CD d’installation qu’on accompagnait d’une licence d’utilisation du produit (une fois installé). Ça, c’était il y a 20 ans+. Puis les choses se sont mises à changer quand Microsoft a commencé à envisager opter pour une autre formule.

Plus tard pendant ma carrière, un de mes anciens patrons adorait acheter des outils qu’on utiliserait ensuite dans son entreprise pendant des années et des années, et des années. Il répartissait ainsi un coût unique sur plusieurs années, lui permettant ainsi d’augmenter notre profitabilité par cette petite manœuvre d’économie. Du grille-pain au logiciel de comptabilité, tout y passait. Bien que cela a longtemps fonctionné, aujourd’hui, cette époque est largement révolue, particulièrement en matière de contenus et de logiciels.

Bon exemple: un ami m’apprenait cette semaine que Walt Disney vient de décider de cesser d’offrir dorénavant ses films d’animation en format tangible, tel qu’en format DVD ou Blu-Ray. À l’avenir, vous voulez voir un film de Disney, voyez le en salle ou… sur le service de streaming Disney +. C’est ça ou rien. Plus question pour vous d’acheter The Lion King en DVD puis pour vos enfants de le regarder ad nauseam sans que la société Disney ne puisse continuer à en tirer profit soir après soir. Non, cette époque, c’est du passé.

C’est assez représentatif de l’aboutissement du mouvement global d’abandon des licences et des copies tangibles qu’on voit se pointer depuis 20 ans. Dorénavant, ce que veulent la plupart des entreprises qui produisent quelque chose d’intangible, c’est de nous placer en formule d’abonnement. Le mot d’ordre dorénavant : pas d’abonnement, pas de produit. Après tout, pourquoi demeurer dans une situation où on doit perpétuellement convaincre de nouveaux clients d’acheter? Pas mal plus facile de prévoir en vendant des abonnements et d’éviter (notamment) les clients qui achètent une fois, puis s’entêtent à refuser de migrer vers les versions futures, question d’économiser, puisqu’ayant déjà payé à l’achat initial. Non, en 2022, tu veux être en streaming, ou l’équivalent de.

Première conséquence de cette tendance lourde, nous sommes tous (personnellement et comme entreprise) sujet à un nombre croissant de demandes de nous abonner, c’est à dire d’accepter de payer un frais d’abonnement périodique, pour toujours. Plus question de payer une fois puis de continuer à utiliser le grille-pain pendant 35 ans, ce qu’on veut dorénavant c’est plutôt de nous vendre un service de livraison quotidienne de pain grillé, mois après mois, après mois. C’est évidemment l’attrait pour les entreprises productrices : passer d’un schème de fabrication/vente « un à la fois », à un schème d’abonnement continuel perpétuel, sans possibilité pour l’acheteur de « débarquer », du moins pas sans totalement se priver du produit/service.

Deuxième conséquence, les producteurs des produits/services en question peuvent dorénavant faire évoluer leurs produits et contenus, de façon continuelle, sans jamais risquer qu’une partie des usagers refuser de migrer, encore une fois du moins sans totalement se priver du produit/service. Pas besoin de vendre l’idée d’une belle nouvelle mouture de votre plateforme quand tous les usagers doivent obligatoirement accéder à UNE seule et même version de la plateforme, dès qu’ils veulent l’utiliser. Pas mal plus simple à gérer, dans un sens.

Évidemment, un inconvénient de cette approche, c’est qu’en tant qu’usager, on peut voir disparaitre n’importe quelle caractéristique ou fonctionnalité du «produit», du jour au lendemain. Si le producteur décider d’éliminer une fonctionnalité X, vous pouvez accéder le lundi, bénéficier de X, puis accéder à nouveau le mardi et réaliser que X a tout simplement été éliminé -désolé, cela ne fait plus partie de notre produit. Vous n’aimez pas? Trouvez-vous un autre produit/service. Vous avez déjà payé pour l’année? Eh bien, dommage pour vous mais c’est comme ça. Bien que juridiquement on puisse peut-être y trouver quelque chose à dire, en pratique c’est ce qui arrive bien.

Pire encore, une fois la conversion effectuée vers une vrai formule d’abonnement (ou de location, en un sens), on peut même pousser cela une coche plus loin. En effet, dans les pires cas, on peut même pousser l’odieux jusqu’à faire carrément disparaitre un produit « intangible » de ceux qui sont offerts et pour lesquels des usagers ont peut-être payé. Récemment, par exemple, certains éditeurs de jeux d’ordinateur (ludiciels) « retirent » certains titres des plateformes comme STEAM, par exemple quand il s’agit d’un titre publié il y a déjà plusieurs années. Certains joueurs se voient ainsi privés de pouvoir accéder à certains jeux qu’ils pouvaient pourtant croire avoir plus ou moins acheté sur la plateforme de jeux. Une fois le serveur désactivé par l’éditeur, les joueurs ne peuvent alors plus accéder au ludiciel en question, lequel cesse alors essentiellement d’exister. C’est un peu comme voir votre voiture disparaitre de l’entrée d’un coup de baguette magique. Pouf!

Remarquez, tout cela, c’est un peu l’aboutissement logique de toute cette désincarnation des contenus. À force de rendre le tout numérique de plus en plus désincarné et virtuel, de moins en moins concret, on finit par aboutir à… rien. Ce n’est évidemment pas pour dire que cette tendance se renversera, mais la chose mérite néanmoins réflexion, si vous le demandez, incluant pour ce qui est de l’usage d’outils dont se servent des entreprises.

Et dire que je me souviens encore du rédacteur en chef d’une revue juridique en P.I. bien en vue qui m’avait refusé un article sur le début du déclin du modèle de la licence perpétuelle de logiciel, en disant que cela ne changerait rien à rien. J’aimerais bien le recroiser pour voir ce qu’il en pense maintenant!