Décision américaine Omni Medsci et le danger d’employer le mauvais verbe, conjugué au mauvais temps, dans une cession de P.I.

Un tribunal américain se prononçait récemment, dans Omni Medsci, Inc. v. Apple Inc., quant au fait qu’une cession de propriété intellectuelle (de la «P.I.») peut bien n’avoir d’effet juridique que si on a employé le bon verbe, conjugué au présent. Bien que cela puisse surprendre compte tenu de l’abandon généralisé du formalisme, il demeure bien des situations en droit où il faut appeler un chat, un chat, si on espère parvenir au but recherché.

En effet, l’arrêt récent de l’United States Court of Appeals vient rejeter le recours en contrefaçon de brevet logé par une société nommée Omni Medsci, Inc. («Omni»), parce qu’elle n’était tout simplement pas propriétaire de ce brevet. Pas de brevet, pas de recours -évidemment!

L’explication de ce dérapage inhabituel dans l’affaire Omni découle d’un examen attentif des dispositions du contrat d’emploi d’un chercheur universitaire qui était l’inventeur initial de l’invention visée. En l’occurrence, le point de départ de la chaine de propriété de la P.I. en question débutait dans les mains d’un chercheur employé par l’University of Michigan (l’«Université»). Bien que le contrat d’emploi du chercheur contenait bien une clause traitant des inventions éventuelles de ce salarié à l’Université, on espérait parvenir à cette fin par une tournure de phrase disons malencontreuse.

La clause en question prévoyait que les brevets résultant du travail de l’employé «seraient la propriété de l’Université» (en anglais, «shall be the property of the University»), en évitant (pour une raison ou une autre), d’employer un verbe actif, tel «céder» ou «transférer», des verbes qu’on emploi pourtant normalement pour signifier qu’une partie exprime sa volonté de transférer dès maintenant la propriété d’intangibles à autrui. À défaut d’un tel verbe, peut-on quand même conclure à une cession? Après tout, on comprend ce que la clause essayait de dire, non? Non, justement, de dire essentiellement le tribunal d’appel.

Puisqu’on avait opté pour le verbe «être» qu’on avait de surcroit conjugué au futur, le tribunal conclu qu’on était pas ici en présence d’une véritable cession, ni d’un transfert immédiat de propriété. Au plus, à la lecture de cette clause, le tribunal conclu qu’au plus on est plutôt en présence d’une sorte de promesse d’éventuellement céder la P.I. visée à l’Université. Pour le tribunal, on doit tracer une distinction entre ce genre de langage vague conjugué au future («shall be…») et des formulation généralement acceptées telles «assigns», «agrees to assign» ou «does hereby grant title to…», etc. Pour les juges,  un tel énoncé dans un contrat se résume à un énoncé d’intention à venir, sans plus.

Bref, eh non, juridiquement parler d’une situation à venir («shall be…») n’égal pas à dire qu’une partie prend la décision maintenant de faire quelque chose qui produira des effets immédiats. À défaut de cession dans le contrat d’emploi du chercheur en question, la P.I. demeurait dans ses mains et l’Université ne pouvait donc pas l’avoir ensuite transférée à Omni. Échec et mat.

Ce genre de jurisprudence s’avère un bon rappel du fait que, bien que le droit se soit largement éloigné du formalisme (en Occident, du moins), eh oui il demeure des ingrédients essentiels dans la rédaction de contrats, incluant ceux censés transférer des droits de P.I. entre deux parties. À défaut de clarté parfaite dans un document de transfert de P.I., l’entité qui espérait mettre le grapin sur un intangible pourra se retrouver avec le bec à l’eau si le document supposé transférer l’actif en question n’a pas été préparé adéquatement. Bien qu’il soit vrai que c’est l’intention qui prime généralement, lorsqu’on interprète un contrat, même cette intention peut s’avérer difficile à confirmer si la rédaction d’une clause clé s’avère déficiente, en utilisant pas le verbe approprié, tel que conjugué au présent.

En résumé, si vous voulez transférer un actif, dites-le sans détour ni entourloupette de langage dans votre contrat!

Corsaires et pirates informatiques: devrait-on ressusciter le concept des lettres de marque?

Le Wall Street Journal contenait un article d’opinion en matière de cybersécurité qui a attiré mon attention, intitulé A Maritime Solution for Cyber Piracy. L’auteur, un avocat ayant travaillé par l’Air Force, suggère que, face au problème d’apparence insurmontable qu’est le piratage informatique, les États-Unis devraient penser à ressusciter le concept des «lettres de marque» afin de mobiliser des citoyens pour sa cyberdéfense.

La «letter of marque» («lettre de permission» ou «lettre de commission») était un concept juridique de licence (permission) permettant au gouvernement américain de confier à un citoyen, à une entreprise ou à une équipée un rôle dans la défense de la nation ou son commerce. En gros, à une époque où le gouvernement américain était souvent mal équipé pour composer avec les menaces navales et le piratage naval, le gouvernement s’était inspiré des nations européennes ayant elles-mêmes depuis longtemps autorisé des citoyens («privateers») à écumer les mers pour cibler les pirates ou des actifs de nations ennemies. Une fois en possession de lettres de marque, un citoyen, une entreprise ou une équipée pouvait agir contre des pirates ou les possessions d’un pays avec lequel on était en guerre sans risque de répercussions légales pour avoir attaqué un autre bateau ou une possession étrangère à l’extérieur des États-Unis, etc.

Ces autorisations permettaient donc à des «corsaires» (des citoyens en mission navale pour l’État ) d’attaquer les ennemis de la nation, en étant habituellement motivés par des récompenses liées aux navires coulés ou capturés, par exemple.

En somme, ces lettres permettaient de compter sur des mercenaires pour voir à la sécurité de la nation, dans la mesure où le gouvernement s’avérait mal équipé pour le faire entièrement lui-même. C’est ce qui mène l’auteur de l’article à suggérer que face à la menace sans cesse croissante du piratage informatique, on pourrait songer à ramener le concept des lettres de marque, afin d’autoriser des entreprises et des experts en cybersécurité à écumer l’Internet pour stopper les pirates informatiques.

Comme on le constate, nos gouvernements sont généralement peu efficaces pour contrer les cas de piratage informatique, du moins à court terme, préférant s’attaquer (juridiquement) aux plus gros cas à l’aide des forces de l’ordre et du système judiciaire. La quantité de problèmes de cybersécurité rend l’implication de l’État inadéquate pour endiguer réellement le problème, les menaces de ce type pouvant aller jusqu’à menacer les infrastructures de la nation (comme on l’a vu récemment avec l’attaque liée à un oléoduc américain par SolarWinds).

Fait intéressant, l’article souligne que SolarWinds a bien fonctionné entre autres parce que le droit américain interdit à son chien de garde principal en matière de cybersécurité (la NSA) de surveiller les réseaux et systèmes situés à l’intérieur des États-Unis. Ainsi, des attaques issues de systèmes hébergés aux États-Unis (chez Microsoft et Amazon, dans ce cas-ci) peuvent passer inaperçues ou sous le radar jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

C’est ce qui fait dire à l’auteur qu’on devrait peut-être songer à combler le vide en matière de cybersécurité en ramenant le concept des lettres de marque, qu’on pourrait adapter à l’ère numérique. Devant des menaces de cybersécurité incessantes, le fait d’offrir des récompenses aux individus et aux entreprises pourrait nous permettre de mieux composer avec le problème, en créant des incitatifs (notamment financiers) adéquats, non seulement pour ce qui est de «couler» les pirates, mais aussi (et peut-être surtout) en partageant de l’information que les sociétés victimes sont souvent réticentes à divulguer en pratique.

Bien que j’ignore comment cela pourrait fonctionner en pratique, je trouve que l’idée est certainement intéressante. À voir le flot quasi incessant d’histoires de piratage informatique à la une depuis quelques années, il faut avouer qu’une nouvelle solution s’impose. Visiblement, notre système est incapable de composer adéquatement avec la cybercriminalité. Peut-être est-il temps d’envisager des solutions juridiques de rechange?

Retour sur Internet des plans d’impression 3D d’armes à feu

Les médias américains rapportent récemment plusieurs nouvelles relativement au problème de société que représentent les armes à feu fantômes (ou «ghost guns»). Ces armes sont des incarnations de modèles réels créées presque entièrement à partir de plans numériques (et d’imprimantes 3D) par des citoyens désireux de se munir d’armes. Il s’agit là d’un bon exemple de problématique à laquelle est confrontée la société une fois que les citoyens peuvent soudainement créer de toute pièce (littéralement) de très nombreuses sortes d’objets jusqu’ici restreints, incluant des armes.

Le problème de ces armes fantômes, c’est que comme elles ne proviennent pas de manufacturiers légaux, elles s’avèrent impossibles à contrôler par l’état américain, ou presque. Malgré le droit de porter les armes, même la société américaine ne peut que s’inquiéter de la possibilité que toute personne puisse, par le truchement de l’Internet et de son achat d’une simple imprimante 3D, produire de véritables armes à feu fonctionnellement 100% équivalentes à celles qui se vendent sur le marché.

Depuis 2015, une décision judiciaire avait permis d’ajouter les plans numériques pour imprimer en 3D de pareilles armes au «State Department’s Munitions List», une liste énumérant ce qui ne peut pas être librement exporté – et, par extension, publié en ligne. On avait alors interdit la publication en ligne des plans numériques, statuant qu’ils devaient être assimilés à des composantes d’armes ou des munitions. Cela n’avait cependant pas duré très longtemps, un litige ayant bientôt mené l’administration en place à retirer ces plans de la liste il y a quelques années. Dès lors, les plans d’impression 3D d’armes à feu pouvaient à nouveau librement circuler (légalement) sur l’Internet, même aux États-Unis.

Devant ce danger perçu pour leur sécurité publique, toute une série d’États américains avaient alors déposé des procédures judiciaires contre le gouvernement fédéral, cherchant à remettre ces plans à l’index, question d’évacuer les plans 3D en question de l’Internet.

Dans le tout dernier chapitre de cette saga, un tribunal d’appel californien vient de rendre une décision confirmant que le gouvernement avait bien le droit de retirer ces plans de sa liste noire. Selon le tribunal, si le gouvernement voulait retirer ces plans de sa liste, c’était sa prérogative. Les plans 3D d’armes à feu peuvent donc de nouveau circuler librement en ligne, en principe.

Comme on s’en doute, cette décision est loin de faire l’unanimité, alors qu’on continue de craindre la prolifération des armes illégales aux États-Unis une fois ces plans rendus facilement accessibles. Il semble qu’une étude démontre que le tiers des armes à feu saisies en Californie en 2019 appartenaient à la catégorie des armes fantômes. Bien que plusieurs États exigent en principe que ceux qui s’impriment une telle arme l’enregistrent auprès des autorités, de nombreux producteurs maison ne le font pas.

Je lisais d’ailleurs hier qu’on parle déjà aux États-Unis de modifier la loi afin de clarifier que des plans d’impression 3D (d’armes) doivent être considérés comme des composantes ou des munitions et, donc, qu’ils peuvent être interdits de publication.

Au Canada, nous commençons aussi à voir le phénomène des armes fantômes, comme en témoigne, par exemple, cette nouvelle de septembre dernier en Alberta.

Pas de doute, l’impression 3D représente bien un défi pour la société et le droit, alors que dans le monde numérique d’aujourd’hui, on peut trouver des plans et imprimer à peu près n’importe quoi, incluant même des maisons et de l’armure anti-balles. On n’arrête pas le progrès!