Censure d’Internet : l’Oscar pour Nomadland et celui de Chloé Zhao cachés aux Chinois

On rapporte cette semaine que l’État chinois continue de censurer «sa» version de l’Internet, alors qu’il a fait disparaître toute référence à l’Oscar gagné par la ressortissante Chloé Zhao. Eh oui, il semble que si vous regardez en ligne à partir de la Chine, vous ne trouverez aucune mention du fait qu’une femme d’origine chinoise vient de remporter un Academy Award aux États-Unis en tant que meilleure réalisatrice, rien de moins, ni que son film Nomadland a remporté le prix du meilleur film; vous pouvez trouver de l’info sur les autres gagnants 2021 d’Oscars, mais pas sur ce film précis, ni sur sa réalisatrice.

Comme on s’en souviendra, la Chine a mis en place toute une série de technologies et de systèmes visant à épurer le Web et les réseaux sociaux des sources et de l’information jugées incompatibles avec le bien-être de la société chinoise par son gouvernement. Ce grand mur numérique de Chine permet au gouvernement chinois de choisir à volonté l’info à laquelle ont accès ou sont exposés ses citoyens — pour le bien commun, évidemment.

On ne sait pas exactement pourquoi les renseignements relatifs à Chloé Zhao et à son film ont été ciblés, mais on soupçonne une entrevue donnée en 2013 comme en étant la raison. En effet, la réalisatrice aurait osé dire à un journaliste que son expérience, en sortant de la Chine (pour aller étudier en Angleterre), lui avait fait comprendre qu’un grand nombre de mensonges étaient véhiculés en Chine, au point que cette société en était truffée.

Quelle qu’en soit la raison, la Chine a choisi de censurer toute nouvelle du prix gagné par Chloé Zhao et son film, de la version du Web à laquelle on peut légalement accéder à partir de l’intérieur de ce pays. Le New York Times rapporte qu’une recherche à ce sujet sur le moteur de recherche chinois Weibo donne un seul résultat énonçant : «According to relevant laws, regulations and policies, the page is not found» [ce résultat s’avère indisponible pour des raisons de conformité au droit].

Si on censure une telle information pour une raison aussi anodine qu’une phrase dans une entrevue de 2013, on peut se douter de la quantité effarante d’information qui doit être bloquée ou censurée par la Chine pour ses citoyens.

Il s’agit là d’un nouvel exemple d’une tendance malheureusement bien établie dans les pays aux tendances antidémocratiques. Eh oui, comme c’est souvent le cas, quand une technologie existe pour faire quelque chose (comme disséminer l’info par le Web), on pourra habituellement rapidement en trouver une pour la contrer.

Exemple surréel de véritable censure, mais un bon exemple de jusqu’où peut aller un régime de contrôle de l’information, dans un pays qui opte pour cette voie, plutôt que la liberté d’expression et de circulation de l’information.  Ainsi, malgré l’existence de l’Internet, des réseaux sociaux et du Web, le Grand mur numérique de Chine permet à l’État chinois de mettre des lunettes teintées de rose (ou est-ce de rouge?) à ses citoyens, pour leur propre bien — évidemment.

En passant, j’ai vu Nomadland et c’est effectivement très réussi. Je vous encourage à le voir, autant pour sa réalisation que pour la performance de Frances McDormand.

Un tribunal américain permet au FBI de colmater les brèches de centaines de serveurs Exchange

On rapportait hier qu’un tribunal du Texas aurait rendu une ordonnance permettant aux forces de l’ordre d’accéder à des serveurs de courriels d’entreprises compromis par des pirates informatiques liés à l’état chinois. Le but: fermer des portes laissées déverrouillées par les attaques récentes d’envergure contre des serveurs Exchange.

Comme on s’en souviendra, des criminels ciblent depuis mars des serveurs affectés de quatre vulnérabilités permettant à des attaquants de les pénétrer et d’en piller les courriels et l’information, etc. Les intrusions résultantes ont notamment permis à des pirates de découvrir les secrets d’entreprises emmagasinés dans leurs serveurs Exchange et de déployer des rançongiciels.

Depuis, bien que Microsoft a déployé des correctifs logiciels, beaucoup d’entreprises tardent à appliquer ces correctifs, sans parler du fait que même une fois ces brèches colmatées, il est trop tard pour des centaines de réseaux d’entreprises déjà pénétrés et dans lesquels les pirates ont eu le temps d’installer des portes dérobées (ou «backdoors»). Si un malfrat vole vos clés de maison et a le temps d’en faire des doubles, êtes-vous toujours en sécurité chez vous une fois vos propres clés récupérées? Évidemment pas.

Devant ce fléau, le département américain de la Justice aurait obtenu qu’on autorise le FBI à accéder aux serveurs touchés par les vulnérabilités en question, par Internet, en donnant une commande de nettoyage aux serveurs qu’on sait infectés. Les forces de l’ordre expriment récemment leur désir d’étendre ainsi la gamme des outils à leur disposition afin de composer avec de pareils problèmes de cybersécurité.  

Plan américain «Clean Network»: vers la balkanisation de l’Internet?

Je lisais ce matin sur la BBC que le gouvernement américain lançait cette semaine une initiative visant à créer ce qu’il appelle un «clean network», à savoir un Internet accessible aux États-Unis dont on aurait purgé les aspects chinois, afin de protéger les citoyens américains, en leur fournissant une version épurée et sécuritaire de l’Internet. On vise ainsi notamment à endiguer le problème majeur de sécurité que la pleine ouverture du réseau Internet a généré depuis 20 ans, notamment quant aux attaques et à l’espionnage (industriel) trop facile qu’il permettait jusqu’à maintenant, généralement à partir de l’étranger et de la Chine en particulier.

Le plan américain couvrira 5 aspects de ce qui compose l’Internet et dont on éliminerait la présence chinoise, incluant les applis, les réseaux et équipements connectés au réseau, l’infonuagique, etc.

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Comme c’est toujours le cas avec ce genre d’idée, la motivation déclarée de la déclaration en question vise un but louable, en suggérant entre autres qu’on bloque désormais les applications auxquelles on ne peut pas faire confiance, par exemple parce qu’issues de la Chine, etc. On commencera ainsi à épurer l’Internet en coupant (aux États-Unis) l’utilisation d’applis comme TikTok et WeChat, incluant leur préinstallation sur des appareils mobiles, etc. On imposera aussi des contraintes aux entreprises qui offrent de la connectivité aux États-Unis, afin qu’elles évitent d’inclure dans leurs infrastructures des composantes issues de fournisseurs chinois, etc.

Bien que cela puisse sembler antinomique, il s’avère intéressant de réaliser que l’Internet n’a pas nécessairement à demeurer pleinement international. Rien n’empêche en effet certains pays (comme la Russie et la Chine) de décider qu’il vaut mieux compartimenter le réseau, afin de doter un pays de frontières numériques, en quelque sorte. Même si on n’est pas à considérer une frontière comme celle que la Chine a placée autour de sa version de l’Internet, on parle tout de même de contraindre dorénavant ce qui fait de l’Internet un réseau pleinement international, aux États-Unis du moins.

C’est à se demander si le conflit latent entre les États-Unis et la Chine est sur le point de briser notre joujou préféré.