Décision de marque quant au pain HOSTESS: contrefaçon oui, mais sans responsabilité du dirigeant clé

La Cour fédérale rendait récemment une décision digne de mention en matière de contrefaçon de propriété intellectuelle, par son jugement Boulangerie Vachon Inc. v. Racioppo (2021 FC 308). Bien que la décision traite de confusion de marque de commerce, dans une trame de faits banale liée à de la confusion, le tribunal traite au passage de la possibilité de responsabilité personnelle d’un individu derrière les sociétés défenderesses.

Cette décision implique la société québécoise productrice des petits gâteaux Vachon (détentrice de la marque HOSTESS), laquelle était aux prises avec deux autres sociétés ayant distribué du pain au Canada sous essentiellement la même marque de commerce, de 2016 à 2019. Puisque Vachon avait éventuellement retiré le pain des types de produits couverts par ses enregistrements de marque, les défenderesses prétendaient que l’utilisation de la marque visée quant à du pain leur était désormais permise.

Comme on s’en doutera, le tribunal n’a pas beaucoup de difficulté à conclure ici à la probabilité de confusion, compte tenu de la quasi-identité des marques en présence et la proximité du pain et du gâteau dans le marché. Au passage, le tribunal refuse de voir dans le retrait du pain des enregistrements de Vachon un problème qui l’empêche d’arguer la confusion probable entre les marques en présence. HOSTESS pour des gâteaux/pâtisseries, etc. ou HOSTESS pour du pain -il faut avouer qu’on est pas en présence d’un argument qui s’avérait très difficile à faire. On conclu donc à la contrefaçon de la marque, en octroyant 10000$ en dommages (nominaux), en plus d’injonctions. Rien de bien surprenant à date, si ce n’est que, pour une fois, le tribunal donne aussi droit à la réclamation de dépréciation d’achalandage.

Ce qui s’avère plus intéressant quant à cette décision touche la tentative de la requérante d’obtenir la condamnation non-seulement des sociétés défenderesses mais aussi celle du fondateur M. Silvano Racioppo. Selon la requérante, cet individu se cachait essentiellement derrière les sociétés défenderesses, justifiant de le condamner personnellement. Pour elle, en effet, cet individu s’avérait si central à la direction des sociétés défenderesses qu’on peut le considérer comme le réel responsable des gestes de contrefaçon qu’il avait autorisé délibérément et en toute connaissance de cause.

Idée intéressante mais pas si vite de dire le tribunal dans sa décision. Malgré l’implication de M. Racioppo dans certaines discussions avec la requérante et son rôle de fondateur et de dirigeant des sociétés défenderesses, la Cour fédérale se refuse à le tenir personnellement responsable dans le dossier de contrefaçon. Ses société si, lui non.

Pour ce faire, le tribunal se réfère à la jurisprudence en matière de responsabilité personnelle dans les dossiers de P.I., incluant Louis Vuitton Malletier SA c. Singga Enterprises (Canada) Inc. et Mentmore Manufacturing Co Ltd c. National Merchandising Manufacturing Co Inc. Essentiellement, ces décisions sont venues reconnaitre qu’un individu pouvait dépasser les bornes (en se rendant personnellement responsable) s’il posait des gestes propres dépassant ceux de l’entreprise. Pour différencier les deux cas de figure, la jurisprudence exige une analyse visant à déterminer si les gestes de l’individus avaient un objectif dépassant ce qu’on peut considérer comme simplement mener les affaires de l’entreprise. Ainsi, si les circonstances impliquaient que l’individu avait adopté un comportement délibéré en sachant bien qu’on risquait d’empiéter sur la P.I. d’autrui. Si c’est le cas, alors on peut conclure que l’individu s’avérait responsable, à défaut non.

Ici, ce qui avait été mis en preuve par Vachon reposait essentiellement sur l’implication de l’individu en question à titre de fondateur, d’actionnaire, de dirigeant et d’administrateur, sans vraiment plus. Certes était-il l’individu clé derrière les sociétés défenderesses mais la jurisprudence (incluant Normart Management Ltd c. West Hill Redevelopment Co Ltd) ne permet pas de conclure pour autant à sa responsabilité personnelle. En l’absence de quelque preuve que l’individu s’était incorporé pour échapper à une responsabilité personnelle (au-delà du schème normal) ou d’indications qu’il s’agissait d’une manœuvre visant à éviter d’être tenu responsable pour un tord spécifique qu’il causerait à autrui, ce genre de cas de justifie pas de percer le voile corporatif.

Pour la Cour fédérale dans sa décision quant à la marque HOSTESS, malgré la prétention de Vachon à l’effet contraire, même un cas pareil de contrefaçon relativement évidente ne justifie pas de conclure à la responsabilité personnelle d’un dirigeant clé. Ici d’ailleurs, le tribunal donne le bénéfice du doute à M. Racioppo qui semblait avoir erronément cru que l’absence de pain dans les enregistrements de marques permettait d’utiliser la marque à cette fin par ses propres entreprises. Ce faisant, le tribunal se refuse à le condamner personnellement.

La conclusion à ce sujet semble donc s’avérer qu’avant de pouvoir espérer retenir la responsabilité d’un individu pour de la contrefaçon de P.I., on devra disposer de preuve directe de comportements répréhensibles et/ou délibérés posés autrement que dans les cadre d’activités légitimes d’une entreprise.