Dérapage technologique: quand on oblige l’employé à installer une appli de géolocalisation sur son propre appareil

Les médias rapportent cette semaine une histoire intéressante au sujet d’entreprises exigeant que leurs employés installent une appli de géolocalisation sur leur appareil mobile afin de pouvoir suivre certains de leurs déplacements pendant leur journée de travail.

L’histoire en question se passe en Alberta, où une employée prétend que son congédiement récent découle de son refus d’installer l’application Blip que son employeur exigeait qu’elle utilise dorénavant. Cette application permet aux employeurs de créer une zone géorepérable (c’est un mot, ok, je note), en étant ensuite avisés quand un usager sort du périmètre.

Cette affaire soulève des problèmes intéressants relatifs à ce qu’on peut imposer à un individu, notamment dans le contexte d’un emploi, en particulier par rapport à ses données et à son propre appareil, sans parler de la collecte et de l’utilisation de données personnelles liées à son déplacement. Dans la mesure où c’est l’employé qui achète et paie pour l’utilisation de son appareil, un employeur peut-il réellement lui imposer d’installer puis d’activer une appli spécifique au seul bénéfice de l’entreprise? Quand un employé est salarié et n’a aucune possibilité de refuser (sans s’exposer à des sanctions), peut-on réellement parler de consentement? Évidemment pas, d’où le malaise qu’on peut ressentir à la lecture de telles histoires.

D’ailleurs, même si une application comme Blip ne permet pas de localiser l’employé à l’intérieur de la zone et est plutôt simplement pratique pour l’employeur afin d’aider son système de paie (par rapport aux heures travaillées sur place), cela ne signifie pas qu’on soit nécessairement en droit d’exiger l’utilisation de telles applis, du moins pas de cette façon, ni n’importe comment. Oui, un employeur peut très bien demander à son personnel de «pointer» au début et à la fin de son quart de travail (avec une carte et un horodateur), ce qui ne s’étend cependant pas automatiquement à pousser la chose jusqu’à exiger qu’un salarié installe une balise sur son propre appareil. Il s’agit d’un bon exemple de «dérapage technologique» qui tend à survenir quand on innove, en présumant que le contexte qui existait auparavant demeure le même malgré l’évolution de la techno dans un cas précis.

D’ailleurs, de façon générale (au Québec, comme dans plusieurs autres provinces canadiennes), les employeurs devraient généralement réserver l’utilisation de technologies de surveillance pour les cas problèmes, en évitant de mettre en œuvre des systèmes de ce type sans avoir de réel besoin dépassant le fait que cela s’avère pratique pour eux.

Quand un problème particulier se pointe, c’est une chose, mais imposer le port d’une balise à tous les employés sans bonne raison, surtout de la façon dont cela semble s’être fait ici, a certainement de quoi déranger. De plus, offrir à un salarié d’installer volontairement une appli qui lui évitera de devoir pointer manuellement, c’est une chose, lui en imposer une sur son propre appareil, qui générera et utilisera des renseignements personnels, une tout autre.