L’étiquette de la négociation et de la révision contractuelle, vous connaissez?

Je tombais ce matin sur un bon article pour ceux et celles qui s’adonnent régulièrement au surlignage et à la révision (au sens d’y apporter des commentaires et des modifications) de projets de contrats. Le texte en question, s’intitule The 10 Rules of Contract Redlining (Les dix règles relatives à la révision de contrats en mode suivi des changements), que j’ai obtenu par l’entremise de Law Insider. Si vous devez régulièrement commenter et/ou négocier des contrats, ce qui suit vous intéressera.

En pratique, je crois que tout le monde ayant participé à un processus de négociation de contrat s’est buté au problème de l’autre partie (ou avocat) qui ne fait pas les choses à notre façon, en particulier concernant les marques de révision (le fameux «redline»), ce qui complique inutilement les choses. C’est inévitable dans mon expérience -ou l’est-ce vraiment? Qu’on soit partie de l’équipe d’affaires ou des services juridiques, la réalité c’est que tous ne modifient ni ne commentent pas les contrats de la même façon, entre autre parce qu’on a tous appris, eh oui, «sur le tas». Non, l’université ne nous enseigne pas comment le faire et, non, tous les juristes de transactionnel ne le font pas de la même façon, ni avec la même approche. Les résultats peuvent donc s’avérer, disons, inégaux, d’un commentateur à l’autre, incluant parfois de façon surprenante.

Ce texte que je lisais ce matin repose sur le concept de ce que l’auteur nomme «Contract Redlining Etiquette»(«CRE», ou l’étiquette liée à la révision contractuelle entre collègues, disons). L’auteure, Nada Alnajafi (de Contract Nerds) a décliné, au fil de son expérience, des choses à faire et ne pas faire quand on commente et/ou propose des modifications dans un contrat à être négocié. En somme, ce que l’auteure propose c’est de tenter d’en arriver collectivement à une certaine uniformité de la façon de faire des commentaires ou des suggestions de modification à des contrats. Pour ce faire, les règles que propose Nada Alnajafi reposerait sur une sorte d’étiquette (au sens de «code de bienséance») qu’appliqueraient idéalement, tous ceux et celles qui s’adonnent à ce type d’activité.

En résumé, les règles que suggère l’auteure comprennent:

  • Soyez transparents et indiquez tous les changements que vous apportez à un projet de contrat en mode suivi des changements («redline»), en évitant de tenter de berner l’autre partie en en dissimulant (dhu? vous seriez surpris);
  • Utilisez les fonctions tel le suivi des changement, afin de faciliter l’acceptation ou le refus des modifications à la réception de votre version par l’autre partie, au besoin en fournissant aussi une version au propre par courtoisie;
  • Ne vous contentez généralement pas de faire un changement, justifiez-en la nécessité ou le bénéfice en y ajoutant un commentaire d’explication de votre demande (sauf si c’est purement de la forme ou évident ou que cela a déjà fait l’objet de discussions);
  • À l’inverse, limitez vos modifications insérées sans commentaires à des cas d’exception, tel que des dispositions clairement inappropriées ou exagérées, etc.,;
  • Limitez les échanges de courriels pour négocier (éviter l’aller-retour de cinq versions différentes ou plus!), puis changer de moyen de communication, par exemple, en passant à une rencontre, une visio ou un appel téléphonique;
  • Utilisez un code de couleur afin de distinguer les commentaires internes de ceux qui seront dirigés vers l’autre partie;
  • Si vous proposez un changement majeur, soyez prêt à faire les changements correspondants dans le document;
  • Gardez toujours à l’esprit que l’autre partie peut ne pas avoir votre degré de sophistication en terme de technologie, de droit ou de langage dans lequel ce contrat est rédigé; et
  • Validez et contre-vérifiez toujours la version finale du document au moment de produit la version définitive «au propre», afin de vous assurer que le résultat final correspond bien aux discussions et qu’aucun oubli ou erreur ne s’est glissé dans le document au fil des révisions.

Je vous recommande donc son texte, la lecture en vaut la peine si vous devez souvent commenter et/ou modifier des contrats. Faut avouer qu’adopter collectivement un certain code de conduite en révisant des projets de contrats bénéficierait à tous, incluant les juristes et leurs clients, dont en facilitant les échanges de commentaires, en réduisant la confusion et les risques d’erreur, en plus d’augmenter la confiance et le respect que peuvent avoir les parties et leurs procureurs entre eux.

Décision américaine Omni Medsci et le danger d’employer le mauvais verbe, conjugué au mauvais temps, dans une cession de P.I.

Un tribunal américain se prononçait récemment, dans Omni Medsci, Inc. v. Apple Inc., quant au fait qu’une cession de propriété intellectuelle (de la «P.I.») peut bien n’avoir d’effet juridique que si on a employé le bon verbe, conjugué au présent. Bien que cela puisse surprendre compte tenu de l’abandon généralisé du formalisme, il demeure bien des situations en droit où il faut appeler un chat, un chat, si on espère parvenir au but recherché.

En effet, l’arrêt récent de l’United States Court of Appeals vient rejeter le recours en contrefaçon de brevet logé par une société nommée Omni Medsci, Inc. («Omni»), parce qu’elle n’était tout simplement pas propriétaire de ce brevet. Pas de brevet, pas de recours -évidemment!

L’explication de ce dérapage inhabituel dans l’affaire Omni découle d’un examen attentif des dispositions du contrat d’emploi d’un chercheur universitaire qui était l’inventeur initial de l’invention visée. En l’occurrence, le point de départ de la chaine de propriété de la P.I. en question débutait dans les mains d’un chercheur employé par l’University of Michigan (l’«Université»). Bien que le contrat d’emploi du chercheur contenait bien une clause traitant des inventions éventuelles de ce salarié à l’Université, on espérait parvenir à cette fin par une tournure de phrase disons malencontreuse.

La clause en question prévoyait que les brevets résultant du travail de l’employé «seraient la propriété de l’Université» (en anglais, «shall be the property of the University»), en évitant (pour une raison ou une autre), d’employer un verbe actif, tel «céder» ou «transférer», des verbes qu’on emploi pourtant normalement pour signifier qu’une partie exprime sa volonté de transférer dès maintenant la propriété d’intangibles à autrui. À défaut d’un tel verbe, peut-on quand même conclure à une cession? Après tout, on comprend ce que la clause essayait de dire, non? Non, justement, de dire essentiellement le tribunal d’appel.

Puisqu’on avait opté pour le verbe «être» qu’on avait de surcroit conjugué au futur, le tribunal conclu qu’on était pas ici en présence d’une véritable cession, ni d’un transfert immédiat de propriété. Au plus, à la lecture de cette clause, le tribunal conclu qu’au plus on est plutôt en présence d’une sorte de promesse d’éventuellement céder la P.I. visée à l’Université. Pour le tribunal, on doit tracer une distinction entre ce genre de langage vague conjugué au future («shall be…») et des formulation généralement acceptées telles «assigns», «agrees to assign» ou «does hereby grant title to…», etc. Pour les juges,  un tel énoncé dans un contrat se résume à un énoncé d’intention à venir, sans plus.

Bref, eh non, juridiquement parler d’une situation à venir («shall be…») n’égal pas à dire qu’une partie prend la décision maintenant de faire quelque chose qui produira des effets immédiats. À défaut de cession dans le contrat d’emploi du chercheur en question, la P.I. demeurait dans ses mains et l’Université ne pouvait donc pas l’avoir ensuite transférée à Omni. Échec et mat.

Ce genre de jurisprudence s’avère un bon rappel du fait que, bien que le droit se soit largement éloigné du formalisme (en Occident, du moins), eh oui il demeure des ingrédients essentiels dans la rédaction de contrats, incluant ceux censés transférer des droits de P.I. entre deux parties. À défaut de clarté parfaite dans un document de transfert de P.I., l’entité qui espérait mettre le grapin sur un intangible pourra se retrouver avec le bec à l’eau si le document supposé transférer l’actif en question n’a pas été préparé adéquatement. Bien qu’il soit vrai que c’est l’intention qui prime généralement, lorsqu’on interprète un contrat, même cette intention peut s’avérer difficile à confirmer si la rédaction d’une clause clé s’avère déficiente, en utilisant pas le verbe approprié, tel que conjugué au présent.

En résumé, si vous voulez transférer un actif, dites-le sans détour ni entourloupette de langage dans votre contrat!

L’affaire des jeans R&R chez Costco: faute d’interférence contractuelle et marché gris

La Cour d’appel confirmait récemment qu’elle se refusait à remettre en question une décision de la Cour supérieure (la «C.S.») quant à une question liée au marché gris, dans l’affaire Simms c. Costco.

Comme on s’en souviendra, au Canada, contrairement à certaines autres juridictions, notre droit tolère généralement la vente de produits achetés à l’étranger. Pourvu qu’on parle de produits authentiques, donc qui n’ont pas été contrefaits, la vente au Canada n’est pas généralement problématique en droit, même si cela peut nuire au système de distribution des produits d’une marque au Canada. Depuis des années, c’est la conclusion à laquelle on en est venu, au grand dam des détenteurs de marques de produits en demande.

La décision intéressante dont il est ici question impliquait le détaillant (aux valeurs, disons… «élastiques») Costco, lequel vend fréquemment des articles dans ses magasins à des prix dérisoires par rapport à ceux que peuvent afficher les magasins ordinaires. Pour y arriver, Costco fait souvent preuve de ce qu’on pourrait qualifier de… créativité – disons.

L’affaire touche la vente de jeans de marque R & R, que Costco parvenait à acheter en quantité (à très bas prix, évidemment) d’un tiers, lequel les avait acquis ailleurs dans le monde, dans le réseau de distribution du producteur des jeans de cette marque («R&R»). Confronté à la présence, au Canada, d’un détaillant (Costco) qui soudainement pouvait vendre à 1/3 du prix, le distributeur exclusif autorisé des jeans de cette marque (au Canada), Simms Sigal & Co. Ltd. Simms»), tente d’arrêter Costco. Après plusieurs lettres de mise en demeure, Costco se contente essentiellement de répondre que sa marchandise est authentique (c.-à-d. pas des copies, ce qui est vrai) et que rien ne l’empêche de vendre au Canada. Franchement, si Costco m’avait consulté, j’aurais probablement opiné en ce sens aussi, du moins avec les faits de base devant moi. En droit canadien, la vente par le marché gris est généralement correcte. C’est le droit.

À tout événement, devant ce refus de Costco de cesser de vendre des jeans R&R sur le marché gris, Simms traîne finalement Costco en cour – surtout que R&R fera faillite et ne peut donc plus être elle-même blâmée. Selon Simms, bien que le droit canadien permette peut-être la présence de produits du marché gris, Costco, elle, était allée trop loin, puisqu’elle avait choisi de poursuivre sa vente de jeans R&R, même une fois informée que Simms avait été désignée (contractuellement, par R&R) comme distributeur exclusif au Canada.

Le hic, et c’est là l’élément déterminant ici, c’est que le producteur des biens (R&R) avait refusé de confirmer à Costco, malgré une question précise là-dessus, s’il existait une raison pour laquelle la vente de ces biens à Costco représentait un problème en droit. R&R s’était alors contentée de donner une réponse vague, laissant planer le doute. La raison? La preuve démontre que R&R avait elle-même sans doute violé son contrat avec Simms, en vendant une partie de son stock à un distributeur étranger qu’elle savait avoir l’intention de l’écouler au Canada, en violation du contrat Simms-R&R.

La C.S. donnera donc finalement raison à Simms : Costco s’est effectivement rendue coupable de « faute d’interférence contractuelle ». L’explication tient au fait que la jurisprudence québécoise (notamment Trudel c. Clairol, une décision de 1975) permet d’agir en justice contre une entreprise qui, en ayant connaissance des droits contractuels d’un tiers, a participé à une violation de ce contrat. D’ailleurs, la C.S. précise ici qu’on n’a pas à lire le contrat comme tel pour se faire reprocher de l’avoir connu. Se faire dire qu’il existe peut s’avérer suffisant. Ici, la mise en demeure avait informé Costco du fait que Simms était désignée distributrice exclusive par R&R – c’était suffisant.

Comprenant logiquement que R&R avait magouillé avec l’un de ses distributeurs (au détriment de Simms), Costco ne pouvait pas ignorer participer à un stratagème au détriment d’un tiers. Or, une fois toute l’histoire exposée, le tiers en question (Simms) peut effectivement s’adresser à Costco pour être dédommagé. Pour le tribunal, Costco ici est allée trop loin, en s’aveuglant volontairement aux droits de Simms (face à R&R), que son propre comportement contribuait probablement à violer. En d’autres mots, Costco avait une obligation de s’informer (dans les circonstances de cette affaire), ce qui permet de conclure à sa faute civile et, donc, lui imposer de payer des dommages-intérêts.

Dans la réalité, le problème ici c’est que Costco avait demandé une confirmation à R&R que les jeans achetés par Costco d’un distributeur à l’étranger pouvaient (ou non) être revendus au Canada sans violer les droits d’un tiers, etc. N’ayant pas reçu de réponse réellement concluante de la part de R&R, une personne (entreprise) raisonnable aurait cherché à en avoir le cœur net. Ainsi, selon la C.S., en apprenant que R&R court-circuitait probablement son propre système (c.-à-d. violait les droits contractuels de Simms), Costco avait une obligation de chercher à en savoir plus. Ne l’ayant pas fait, elle s’est rendue coupable d’avoir participé à la violation du contrat préexistant entre Simms et R&R.

Cette décision vient nous fournir une avenue qu’il s’avérera parfois possible d’explorer lorsque confronté à un tiers qui vend de la marchandise sur le marché gris au Canada. Bien que cela ne soit pas une carte qu’on pourra systématiquement jouer, il est bon de savoir qu’elle existe dans notre main.

Certes, les contrats ne lient que les parties, mais ils peuvent néanmoins constituer des «faits juridiques» dont doivent tenir compte les tiers quand ils en apprennent lexistence.